"Bangkok à ma table" Premier roman de Samia Farah


 

Une voyageuse s’installe à Bangkok, en Thaïlande, et nous livre des histoires de personnes rencontrées, des collisions entre elle et une ville bipolaire, des voyageurs déconnectés de la réalité, des autochtones monomaniaques, sur fond de jazz, de recettes de cuisines, de rire et de drames.


Extrait 1/

Bangkok a ma table 


Ma chambre était au-dessus d’un restaurant tenu
par « Mama »…
une Thaïlandaise de soixante-dix ans mais qui enparaissait cinquante .
Elle avait un sens de l’hygiène propre à elle mais
réussissait à attirer les quelques Farangs qui traînaient par là.
La crasse ne les repoussait pas et certains même en redemandaient, ils revenaient très souvent manger
à n’importe quelle heure de la journée comme du soir.
Mama se distinguait par de longues locks noires et portait uniquement des robes de plage.
Du reggae en musique de fond jouait la plupart du temps.Dans mon hôtel, j’allais sympathiser avec toute sorte de gens venus d’horizons divers. Des hommes,
des femmes, des loosers, des winners qui ne voulaient plus, pour la plupart d’entre eux, « winner », des putes,
des Katoeys, des Japonais de la pègre, des noirs, des blancs, le monde entier se trouvait ici et les environs.
Bangkok se trouvait à ma table et je regardais ce monde
tourner devant moi comme dans un « Kaizenzushi »
Bangkok à ma table 2021 Samia Farah




EXTRAIT2

Les Farangs

Antoine Foutrac, Alfred mackormack et les autres.

Mon voisin d’étage à l’hôtel « Hanafuda » était un Français que j’essayais d’éviter à tout prix.
Il rentrait à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, accompagnée régulièrement d’une fille à son bras. Parfois, je me demandais où il les trouvait ces filles aux jambes arquées et aux culs bas.
Les Farangs me semblaient quasi tous pathétiques. Je ne sais pas pourquoi la Thailand attirait tous ces perdus, crasseux, drogués, désespérés, tous ces mecs en chaleur de la planète entière. Comme des mouches, ils s’engluaient chez eux.
Cerise sur le gâteau, il ne semblait être attiré que par les prostituées Thaïlandaises de moins de 25 ans.
Mon voisin d’étage et de chambre s’appelait Antoine Foutrac, dès qu’il sut que j’étais Française , me parlait et me regardait comme si nous nous connaissions depuis belle lurette. Une promiscuité, proximité qui ne pouvait que me mettre hors de moi, ayant toujours détesté la familiarité mal placée.
Seule chose qui le retenait de s’étaler en confiture de long en large était qu’il avait du mal à savoir d’où je venais.
Mes ori-gi-nes…
Les Français ici ,aiment savoir ce genre de chose, vous coincer dans une case qu’ils avaient créée afin d’irriguer leur inconscient et stimuler leur bonne conscience.
Se sentir petit ou grand suivant la personne qu’ils avaient en face d’eux.Faibles avec les forts et forts avec les faibles.
Voilà comment ils se positionnaient à mes yeux.
Ils s’imaginaient être des personnages importants, s’inventaient grand Kakou, tout ça par ce qu’ils avaient rencontré une quelconque « prostituée » qui leur faisaient croire qu’ils étaient des êtres d’exceptions. C’était son métier à elle que de faire croire à monsieur tout le monde qu’il était un cador,
« aboulle le fric » pensait la michetonneuse c’était tout ce qui l’intéressait.
Le pire à mes yeux était qu’ils croyaient à ces bobards qu’on leur balançait en travers de leur ego moisis, ratiboisés pour ne pas dire croupissant de perdants illusionnés.
Ils étaient dupes…

Je les croisais souvent dans les rues de Bangkok, dans ces bars aux néons atrophiés où tous les miséreux de la planète s’étaient donné rendez-vous. Ils déblatéraient quasiment tous mot pour mot les mêmes histoires. Vivaient les mêmes expériences, pensaient dur comme fer qu’ils étaient les uniques héros d’une série commerciale inédite. Mais le film se jouait en prime time depuis longtemps sous nos regards désabusés. On changeait juste les acteurs mais l’histoire était toujours la même, répétitive, aussi fascinante qu’un supermarché à 20 h dans une banlieue endormie et en rupture de stock.
Ils désiraient me voir ingurgiter stupidement les couleuvres.
C’était comme si des wagons de Chinois se ruaient sur Strasbourg Saint-Denis à Paris France et tombaient amoureux de prostituées Parisiennes.
Décrétant que toutes les Françaises étaient des putes, mais aimons-les toutes hein ?
Ça sonne absurde mais cette comparaison se vaut. Les hommes Thaïes, eux-mêmes ne comprenaient pas l’attitude dystopique venant de la plupart des Farangs.
Le rêve de l’homme Thaïlandais n’était pas d’épouser une prostituée mais plutôt le contraire je tiens à vous l’assurer…
Antoine ce soir la désirait soulager sa peine il avait un besoin pressant de se confier, de vider son sac comme on dit. Il imposa sa présence alors que j’étais en tête à tête avec monsieur Irezumi, c’est pas que lui et moi avions des tas de choses à nous dire mais nous aimions nous regarder, manger, boire sans même échanger un seul mot, comme deux vieux loups solitaires. 



Extrait 3
J’appris que le sieur Antoine faisait des allées retour depuis 4 ans pour vivre ce qu’il appelait « une histoire d’amour » avec une ex-future petite amie. Il s’était épris d’une prostituée Thaïe qu’il avait souhaité changer et faire rentrer dans le droit chemin.
— Quelle bonne blague, n’est-ce pas ?
Il m’avait sorti son passé fantasmé de « droit de l’hommiste »
« Mais comment l’aider ? » me dit-il en faisant sa tête de Jésus Christ Super Starlette.
Les Chinois avaient choisi un nom pour les gars comme Antoine : les « Baizuo ». Néologisme plutôt sarcastique et péjoratif inventé dans les années quatre-vingt-dix pour décrire les blancs de gauche pseudo « éduqués », soit naïfs, ou hypocrites occidentaux, pleins d’amour pour leurs « prochains », en Thaïlande je dirais même plus… pour leurs « prochaines », qui militent pour « l’égalité » afin de satisfaire et se draper d’un sentiment de supériorité morale.
Ils ne s’intéressent qu’a des sujets comme les droits des LGBT,  l’environnement et sont surtout ennuyeusement obnubilés par le politiquement correct.
Les Chinois les trouvaient arrogants et ignorants, autant vous dire que moi aussi. Ils étaient les poux des bons sentiments.
— J’ai tout fait pour elle, me disait-il larmoyant – Tout essayer, à chaque fois elle retourne à cette terrible condition.
À première vue, il ne savait pas ce que voulait dire le « karma »…
— Je lui ai même donné de l’argent pour qu’elle arrête mais rien n’y fait. Elle y retourne à chaque fois.
Elle aime certainement ça…, me dis-je !
Ces « Gwers » ne vous payaient jamais un café ou une bière, comptaient leurs sous au centime près, mais voulaient sauver le monde.

Les Thaïlandais quant à eux avaient une drôle de relation avec l’argent certes ils n’en étaient pas moins généreux.
Je l’écoutais sidérée par tant d’âneries cependant mon cœur demeurait froid.
Dans ma tête se jouait alors des titres de jazz sortis de je ne sais où en même temps que sa bouche formulait des à des o, des I et des Z, à cet instant précis John Coltrane se mit à jouer « my favorite things » allez savoir pourquoi ce titre-là.
Mon esprit se positionnait alors en mode pause, ou se mettait en panne dès que j’entendais les lamentations du Farang effarant.



 


Premier Roman de Samia Farah




 

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