"POUPEES ABSTRAITES POUR FEMMES ABSTRAITES" TEXTE SAMIA FARAH

  

"POUPEES ABSTRAITES POUR FEMME ABSTRAITE" TEXTE SAMIA FARAH                    
(RUBRIQUE SOLILOQUIE FARAH'ESQUE)
        
Mais la Femme Sauvage, comme la nature sauvage, comme l'animal sauvage, est victime de la civilisation. La société, la culture la traquent, la capturent, la musellent, afin qu'elle entre dans le moule réducteur des rôles qui lui sont assignés et ne puisse entendre la voix généreuse issue de son âme profonde.Clarissa Pinkola Estés



Le  projet de  fabrication de poupées explorant le genre " sculptures " en tissu a pris forme en Thaïlande, où j'ai résidé pendant 5 ans. Ces poupées n'ont pas de visage, trop prises par la danse, le mouvement, des accessoires porteurs d'histoires, de sons, de déchirures, de décorations de guerre, de messages parfois écrits ou cachés à l'intérieur des poupées, d'échos dissonnants, mais aussi de « gling-gling » que font les grelots... de liens  mystiques voire ésotériques, et aussi de prières.

Ces poupées sont un clin d'oeil à la  "femme-objet" que nous impose continuellement le monde moderne occidental. En Asie, bien que la femme soit perçue quasi similairement, la forme que prend cette aliénation diffère quelque peu.
On projette sur elles du désir (qu'elles animent chez l'autre malgré elles-mêmes parfois), de la soumission qui les aliène.  Elle devient un produit de consommation comme seule finalité. (Elle se vend parfois elle-même au plus offrant)

JE NE SUIS PAS UNE FEMME-OBJET PARCE QUE
JESUISLAFEMME                                                                                           ABSTRAITE




















Mes sculptures sont des poupées pour adultes par une femme adulte, pour ceux qui ne sont plus vraiment enfants et pour  ceux qui ne sont peut-être pas assez adultes. Pour autant, elles symbolisent d'une certaine manière l'entre-deux âges, les entres-deux ou trois ou quatre cultures, le mystique et la réalité, le vrai et le faux, un objet flottant dans un monde qui se conforte d'illusions que l'on nous fait souvent,

hélas, passer pour du concret, pour le réel.


 On ne joue pas avec ces poupées !! 

Elles ne sont pas des objets pour amuser la galerie, les galeries, mais des sculptures fantasmatiques pour nous rappeler le lien que possède  la femme avec l'enfant, dont elle ne s'est jamais vraiment séparée : l'enfant, la sauvage et l'inapprivoisée..

Elles représentent aussi, peut-être, des accords entendus puis tendus, qui la lient du passé au présent, du  futur à la vie annexe (si l'on est croyant ), et qui dans mon travail sont représentés par des fils de couleur cousues et decousues ou des Arabesques, paternes quasi Hypnotiques et omniprésentes qui me permettent de garder ma tête sur les épaules et m'aident à m'installer dans un mode de  méditation.
Elles ne ressemblent  en rien aux poupées de Bellmer, par exemple. Elle ne sont aucunement démembrées, bien au contraire. Elles sont assemblées, compactes, connectées.

 Les poupées abstraites sont très loin d'être les proies ou victimes que peuvent représenter les poupées d'Hans Bellmer. Elles en sont même  l'antithèse et se rapprocheraient plus des Nanas de Niki de Saint Phalle ou des poupées graphiques de Sophie Taeuber-Arp. En effet, elles expriment de la gaieté et célèbrent la vie. Les poupées de femmes n'ont rien à voir avec les poupées faites par des hommes. Les pulsions diffèrent. Lorsque je vois des femmes réalisant  des poupées qui ressemblent à celles faites par des hommes, cela me met très mal-à-l'aise. Cela se remarque par de nombreux détails, pour qui sait être honnête. Par exemple, le démembrement des poupées est une pulsion typiquement masculine. Une femme ferait pire !

Ces artistes femmes sont dans un besoin de reconnaissance. J'ai côtoyé beaucoup d'artistes qui ne sont plus dans  le réel mais dans la représentation, le show.
Leur âme creative a laissé place à une seule entité : leur Doppelgänger,  celui qui a survécu.
Beaucoup d'artistes, aujourd'hui, ne sont que des Doppelgängers, une réflexion de miroir sans tain. Ils incitent à la fausseté en spéculant sur les injonctions d'une industrie qui est en général dans le fallacieux spéculatif  et le spectacle de mauvais goût. Le double médiocre devient ainsi un original.

La reconnaissance de soi (le retour à soi), nécessite un exorcisme (un abandon) du double dont la matière coïncide avec le refus de la vie ,Clément Rosset développe très bien l'idée en abordant différentes histoires dans le " Réel et son double."



Il est récurrent de lire et de voir que dès que l'on parle de poupées, les écrivains ou les médias sortent la carte de la poupée Vaudoo. Ils sont magnetisés par cette quasi-unique référence multi-fonctions. Mais ils ne sont pas attirés par toutes : la poupée existe depuis que l'homme existe.  M'étant  beaucoup inspirée des couleurs berbères, des matières berbérisantes tels que les pompons et clochettes, le tissu...Les Berbères étant des tribus d'ascendance nomadique sédentarisées d' Afrique du Nord venant certainement du Yemen, les critiques me diront que les poupées paraissent « ethniques » (ils aiment toujours faire remarquer qu'il y a l'Autre et les autres!!!), ou  diront qu'elles leur apparaissent « folkloriques », employant un terme qui m'a toujours surprise par sa condescendance ..


Or, le fait qu'elles soient abstraites donne à penser qu'elles veulent aussi faire partie du dialogue intellectuel planétaire universel, étant reléguées si souvent uniquement aux affaires coloniales ou post-coloniales. La poupée abstraite de Samia Farah s'inclut dans toutes les conversations, c'est une poupée de pouvoir pouvant être ainsi aussi bien magique que créative ou intelligente, sans vouloir faire partie d'aucun communautarisme artistique...
Je réprouve fortement l'art "communautaire". Durant toute ma vie j'ai dû lutter pour me séparer des remparts qui m'ôteraient ma liberté d'être et de re-agir .

Je (Jeux) refuse d'être un alibi ethnique!!  J'ai aussi compris à mes dépends que j'en ferais les frais, de ne pas jouer le rôle que l'industrie musicale m'imposait, tout comme tente de le faire aujourd'hui l'art visuel, gangrené par l'art contemporain et le conformisme ambiant.

Plus je vivais et plus on voulait me tirer vers le contrôlable !  Etre artiste, c'est accepter de se faire juger, mais par qui ?? Tout le monde ne devrait pas avoir son mot à dire .

Les nouveaux milieux artistiques, qui probablement suivent l'influence néfaste des financiers fossoyeurs de  l'art contemporain, ont créé ces donnes restrictives que sont la race, l'ethnie et /ou  la religion, le genre et ce qu'ils appelent la « diversité »… comme dernier rempart sur l'inconnu. C'est aussi une nouvelle manière de contrôler les côtes d'artistes et les artistes eux-mêmes, dans ce marché du soumis .
Car là ou il y a marchandise, il n'y a que des esclaves, disait l'autre..

Très récemment, après l'élection du président Trump, la MoMA protesta contre ce qui apparaissait comme l'expression de la démocratie. Elle proteste contre la démocratie lorsque celle-ci ne va plus dans son sens. Elle exposa des artistes du monde « Musulman »  pour riposter contre l'élection de Trump. Ceux-ci, très peu exposés mediatiquemment, n'ont pas eu la distinction intellectuelle de protester contre cette manipulation paternaliste. On les utilisa comme des objets, des rats de laboratoire. De plus, on afficha la religion comme un unique repère identitaire ! Offense capitale à mes yeux !!


J'ai été outrée de voir ces Américains prôner '' l'Antiracisme'' avec des méthodes douteuses et vénales sur le long terme.
 
MoMA Protests Trump Entry Ban by Rehanging Work by Artists from Muslim Nations


Il est important pour moi d'articuler mes motivations. Il est vrai que les sujets que j'explore, tels que le masque dans tous ses états, l'identité multiple, les costumes et la dislocation (m'utilisant comme sujet), les Portraits asymétriques (fragment de portrait) et aujourd'hui la poupée abstraite, font que les professionnels du milieu ne jugent jamais réellement mon travail mais mes origines ethniques, qui seraient censées me "définir ". Dans leur inconscient limité, nous ne pouvons certainement pas penser par nous-mêmes... Nous ne pouvons être que dans l'imitation.

Mon travail ne les intéresse pas assez, ils  pensent que lorsqu'on « en » a croisé un ou une, on les connait tous !! 
 Ils considèrent aussi que je ne suis et par extension mon travail qu'un symptôme Ethnique ; "moins typé" les chemins du destin auraient-ils offert à mon travail quelques raccourcis ?

Le communautarisme artistique a ouvert la porte à cette prison moderne qui consiste à plus protéger l'acheteur/ investisseur que l'artiste lui-même !  
Or, les artistes -pas tous mais une grande majorité-, sont restés à l'intérieur, même si la porte est grande ouverte. Ils sont devenus des soumis, des" Doppelgängers". Ils fantasment sur l'artiste comme un emblème mais avec des références désuettes et ne miment plus que des attitudes frivoles. 
 Non ! L'identité culturelle ne devrait pas interférer .
On ne comprendrait pas qu'une galerie africaine organise une rétrospective sur le monde blanc ou que le monde arabe organise un colloque sur les artistes chrétiens. Ce serait un non-sens artistique .


La vrai question est : qu'a-t-on pillé de ces mondes pour qu'aujourd'hui ils soient réduits à accepter d'être dans des cages?


Bref. Durant mes carrières de musicienne et d'artiste visuelle, je me suis très souvent pris les pieds dans les tapis mouvants des différents décideurs, qui comme à Rome décident de la vie ou de  la mort d'un artiste d'un coup de pouce idiotique.
Je me devais d'être la petite "soumise" à leurs idées, que je refusais avec ténacité (enregistrement de mon premier album chez Sony en 1999), refus de me soumettre à l'idée qu'ils avaient de ma propre culture, qui évidemment à leurs yeux était plus aliénante que ce qu'ils me proposaient. Ils s'attendaient à me voir leur manger dans la main. Telle est la position de l'artiste moderne : « Baisse-toi, baise-toi ! ». Voilà Des injonctions maléfiques en filigrane !!


Confectionner une poupée est un acte symbolique et thérapeutique   L’intention première étant de créer SA poupée, « un fac-similé en minuscule du Soi originel. La poupée représente une petite part d’âme qui porte toute la connaissance de la grande âme-Soi»  (C.P Estes).


 Mes poupées sont faites de tissus et d'accessoires en tous genres, issus de chaque pays visité, des grelots, des coeurs, des yeux, du fil, des cotons, des pompons etc…Elles s'inspirent fortement des poupées de l'Antiquité égyptienne, avec laquelle je me trouve mille affinités .
Comme les Egyptiens de l'Antiquité, j'ai le goût du jeu, des jeux. Dans plusieurs sarcophages, on a retrouvé des jouets multiples, de la poupée au lion qui roule, en passant par le jeu de l'oie, qui chez eux met en scène un serpent. C’est en Égypte que l’on a retrouvé les plus anciennes traces et représentations de l’utilisation de jouets par les enfants..
En fait, et n’est-ce pas là le plus important, ils faisaient surtout travailler leur imagination ; tout cela démontre bien le goût du jeu qu'avaient les Egyptiens de l'époque. Ils avaient déjà saisi le concept et l'abstraction comme sujet, et dans leur vocabulaire le concept du Doppelgänger, qu'ils appelaient "ka".

La poupée a toujours été un "objet" chargé de puissantes énergies et pouvoirs, catalyseurs ,protecteurs, fantasmagoriques. Certains psychologues et analystes diront qu'elle protège d'une éventuelle mère castratrice lorsque l'on est enfant. Cet objet se charge aussi de superstitions. Il n'a de pouvoir qu'une fois en contact avec le propriétaire, si celui-ci le veut bien, évidemment .

-Les poupées Kachinas, que les Surréalistes aimaient tant collectionner
( Pour les Indiens d'Arizona, la représentation publique de Kachinas est offensante et irrespectueuse.)
 sont aussi des poupées mais celles-ci tiennent plus du mystique et/ou  du religieux.

-En Afrique noire, on rencontre  les poupées de fécondité qui accompagnaient la petite fille dans son élan de fillette à femme adulte...Une passation de " pouvoir"  maternel, la poupée passant de mères en filles.

-En Amérique du sud, des poupées miniatures étaient données aux petites filles, qui se confiaient à elles et les mettaient dans leurs sacs.

-En Thaïlande très récemment,  certaines femmes thaïes se sont mises à acheter des poupées du genre poupon, les "Luck Thep", qui sont censées porter chance.
 Les propriétaires de ces "enfants-anges" les traitent comme des enfants, les nourrissent et les promènent mais la société thaïlandaise est très superstitieuse. Elle donne énormément de pouvoir à l'objet statue ou à la poupée, ce qui est quasiment l'opposé de mes poupées toccata (poupée en thaïlandais)...

La Thaï Air a autorisé les propriétaires de poupées à leur acheter une place dans l'avion, comme s'il s'agissait d'un passager ordinaire.
Certains restaurants à Bangkok servent des repas pour enfants destinés aux "Luk Thep".









L'enfant que j'étais me tourmente
Elle est gentille, elle est charmante
Mais je la trouve trop présente
Elle me traite sans égard
Elle m'obsède, elle m'égare
Et transparaît dans mes regards
L'enfant que j'étais est méchante
Pieds joints dans mon cœur, elle se plante
Elle réclame, elle est violente
Comment pourras-tu l'apaiser ?
Jeanne Moreau .



 SAMIA FARAH 
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