IDENTITÉ MULTIPLE (IDENTIKIT) :CULTURE, COSTUMES ET DISLOCATIONS

                                     IDENTITÉ MULTIPLE
                                             (IDENTIKIT) :
                CULTURE, COSTUME ET DISLOCATIONS
TEXTE et visuel SAMIA FARAH (COPYRIGHT RESERVED)
(RUBRIQUE SOLILOQUIE FARAH'ESQUE)

"Une expérience est toujours une fiction ; c'est quelque chose qu'on se fabrique à soi-même, qui n'existe pas avant et qui se trouvera exister après. C'est cela le rapport difficile à la vérité, la façon dont cette dernière se trouve engagée dans une expérience qui n'est pas liée à elle, et qui, jusqu'à un certain point, la détruit".
Michel Foucault, entretien avec D. Trombadori, 1978 (in "Dits et Ecrits")

J'ai longtemps considéré l'identité multiple comme une force et une faiblesse dans un même corps tentaculaire.
Il est vrai que dans notre monde moderne, on rejette ou on stigmatise les êtres dont on soupçonne une complexité identitaire. Il est important pour celui-ci et impératif qu'ils soient plus binaires simples et fluides dans la présentation à l'autre, les raccourcis facilitent la compréhension, être conforme au desiderata du système ambiant et au merchandising mental habituel rassure. D’où, les montées des comunautarismes dans le cadre duquel une personne ou une entité représente un groupe.
Lorsque j'ai commencé a travailler sur le topic de l'identité de ce et ceux qui en faisait la limite , j'ai évidemment pris exemple sur ma propre vie ( je suis la personne qui me connaît le mieux), je décidais de révéler mes propres incompréhensions venant des projections que l'autre balançait ou recrachait sur moi ,sans clair-obscur , ce qui



me perturbait chaque jour de plus en plus et ce, depuis mon plus jeune âge.


C’est peut-être aussi la raison pour laquelle je me suis engagée dans une démarche artistique, outre le fait que mon père érudit et amoureux des arts m'y ait poussée, ma nature abrupte et solitaire accepta sans difficulté cette direction.




Je ne pensais pas que mon travail sur l'identité multiple commencerait avec un projet sur le masque dans tous ses états en 2010.



Avec

"Le costume et ses dislocations".


quel meilleur médium que celui du costume, le vêtement, pour parler de l'identité multiple? Il y a dans cet exercice de style un bon moyen de dévoiler la complexité des strates identitaires qui nous incombent, nous libèrent, ou les deux à la fois.
Bien sûr, l'identité personnelle n'est jamais fixe : elle évolue suivant ses propres expériences, tout au long d'une vie.

La religion, le lieu de naissance, les origines sociales, la race ou le groupe ethnique, les goûts que l'on développe comme la musique, l'art, les lectures, le cinéma, le sport etc... font aussi partie de l'identité et la construisent, la modèlent
mais qu'on le veuille ou non ,Les apparences physiques extérieures réveillent chez l'autre, chez celui qui observe , de violentes réactions ,parfois.
Je comprend , les personnes qui essaient de ressembler coûte que coûte extérieurement à ce qu'ils pensent être intérieurement.. Mais Cela ne marche pas.
d'ou nos sociétés qui s' hyper-narcissise .
Je reviendrai sur ce sujet par la suite, en en abordant le phénomène du «selfie ».
Dans mon travaille sur le theme du " Costume et Dislocations" j'utilise le vêtement pour soulever des questions sur le fait que l'autre juge et mise inconsciemment beaucoup de son estime personnel sur l'interprétation qu'il se fait de l'autre en se comparant , cela réveille donc des peurs, des frustrations ou des exaltations et il articule alors publiquement ce qu'il voit .
Est ce que les apparences vestimentaires nous libèrent du regard de l'autre ou au contraire, ce regard nous pousse-t-il à nous retrancher vers plus de conformité?
pochette deuxieme album Concept ET REALISATION SAMIA FARAH



J'ai beaucoup utilisé le costume "traditionnel-lement ludique", en me déguisant et en utilisant mon visage pour les tatouages berbères par exemple, le costume chinois des séries télévisées thaïlandaises, puis le costume de geïsha lors d'une visite à Kyoto, J’ai pu revêtir la tenue traditionnelle coréenne, où j'incrustais sur fond digital des photos de mangas des années 70, etc. Le costume masculin des Arabes des pays du Golfe en mi-Gorille mi- femme /homme Arabe...
J'ai eu la chance de pouvoir me rendre au Japon à plusieurs reprises. Je passais mes journées dans ces cabines qu'ils appellent

"purikuri". j'y allais revêtue de Kimonos de différentes couleurs, des fragments de corps humains se greffaient sur les photos, etc...



Il y a très souvent une ignorance extrême de l'Autre. On ne fait généralement pas la différence entre un costume chinois et un vêtement mexicain…
On ne différencie pas un costume masculin d’un costume féminin.Mon travail consistait aussi à assembler des parties de costumes ou decors provenant de contextes très éloignés les uns des autres. Pour moi, c’était comme un jeu de loi... Pour l'autre surement , un puzzle sans queue ni tête..






D'une photo à l'autre, les gens semblent ne pas me reconnaître. Pourtant, je ne me maquille que très peu. Ce sont les costumes et les coiffures qui ont tendance à égarer, perturber.
Le "selfie" représente le contraire de ma démarche. Je n'y adhère pas et je n'éprouve aucun besoin de me plier à ce jeu, qui est en fait plus crû, moins équivoque et moins ludique dans ce qu'il a de pervers... Le selfie est a mon sens un stigmate des névroses modernes .


Il y a dans ces désirs de selfie le besoin de celui qui n'est pas dans une démarche artistique, de faire un spectacle de sa vie et de donner l'illusion d'être créateur, sans avoir fait le travail de l' artiste.

Certains disent qu'il y a comme un désir narcissique dans cette démarche… Une idée défaillante de soi-même, comblée par une exposition de ses apparences, comme si c'était sa vraie nature que l'on montrait à l'autre mais qui à mon avis reste ponctuellement le désir d'un grand vide à combler.
Tout ca pour dire que suivant ses apparences, l'homme est plus enclin à juger l'autre suivant son maintien, ses gestes , son look, qui font appel à cette
mémoire sélective perturbée par tant d'années de
" Brain washing " publicitaire, de raccourcis intellectuels relayés par les médias, l'école, les universités qui alimente nos peurs, dont nous sommes les seuls victimes: ce que j'appelle « les identités entendues».


L’identité multiple, c'est aussi prendre conscience d' une part de l'autre en soi,
qui évolue avec les mentalités, les situations géographiques et le temps.
Et puis la mémoire, la mémoire que l'homme néglige. Je crois que nous pouvons aller très loin dans notre mémoire. Si les gènes portent l’héritage de nos ancêtres, notre mémoire vive pourrait peut-être aller beaucoup plus loin dans le temps, qui sait ?
C’est à mon avis ce que beaucoup d'artistes font sans vraiment le savoir : retrouver une expression qu'ils ont perdue, oubliée ou dont ils ont besoin de se remémorer comme langage protecteur.



L’improvisation en fait partie : "le corps" va rechercher en lui-même une expression égarée de sa propre mémoire.
Le musicien entend ce qu'il ne connait pas encore; le peintre sera plus dans une quête de mouvement interne, recherchant la matière organique dans son for intérieur. Nous faisons donc appel à une mémoire qui nous rappelle à nous-mêmes.

Peut-être sommes-nous vivants en ce moment-même grâce à un passé fantasmé...
Jouer avec les apparences m’a toujours amusée dans la vie. Je m'en suis aussi servie pour détecter les dyslexiques cognitifs en tous genres.

J'ai commencé ma carrière musicale en faisant du reggae mais j'ai toujours gardé et porté les vêtements qui me plaisaient, qui n'avait rien à voir avec la Jamaïque. Je ne fume pas et je suis plutôt du type idéologique conservateur, comme beaucoup d'entre-nous qui pratiquons ce genre de musique. Les néophytes ou outsiders, quant à eux voudront que nous nous conformions à l'idée qu'ils se font de nos personnes...Cela les déstabilise parfois de nous voir sans dreadlocks ni survêtement et sans discours stéréotypés sur la politique..









Cela nous déstabilise aussi par la même occasion car nous ne comprenons pas qu'ils ne laissent, in fine, aucun espace de liberté d'être à l'Autre.





Nous vivons dans un même monde et c'est une particularité des XXe et XXIe siècles que d’exiger que l'autre soit facilement identifiable.
Pourquoi et en quel honneur mon apparence physique serait-elle une traduction simplifiée de ce que je fais, de ce que je crée, de ce que je suis ?



IDENTIKIT


En effet,c'est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, mais c'est aussi notre regard qui peut les libérer.
Les Identités meurtrières (1998) de Amin Maalouf
Il est aussi vrai que si mon nom à consonance arabe me fige aux yeux des autres, dès qu'ils découvrent mon travail, quelque chose chez eux change et ce sont là mes rapports à l'autre qui prennent un autre tournant. J’ai souvent cultivé du mépris pour ces personnes, que je considérais stupides, ignorantes et qui heurtaient ma sensibilité sans aucune raison apparente… Plus jeune, mon nom m'a fermé bien des portes et cela continue toujours un peu...
On me questionnait sur l'Islam… sur le fait d’être maghrébine,Berbere ou Arabe… mais on ne me posait que rarement des questions sur l'art, la musique expérimentale, la politique... Selon leur logiciel à fenêtre sur cour, je ne devais certainement rien y connaître.
Très récemment, dans une filière artistique universitaire à Lille, où je désirais faire un master en art, un professeur me dit:
Mais vous les Arabes vous n'avez pas d'art contemporain parce ce qu'il vous est interdit de représenter le prophète!
Je tairai le nom de ce con mais il était clair qu'il était d'une ignorance crasse .
Il exprimait de manière implicite l'idée que je ne comprendrais probablement rien à son cours et que ma place serait peut être mieux ailleurs… Inutile de dire je fus extrêmement choquée.d'autant plus que j'avais surement beaucoup plus d'experience professionnel que ce monsieur .


Ça n'est pas le sujet qui est défaillant mais bien le regard que l'on pose sur lui.

En travaillant sur le costume et ses dislocations, j'ai néanmoins pu me transcender… Plus on m'enfermerait dans ces projections restrictives, plus je serais l'autre, une autre MOI !! Pas un autre quelconque, un autre qui serait l'inconnue, mystérieuse, drôle... une Chinoise, une Mexicaine, un Saoudien, ma grand-mère avec ses tatouages berbère, un robot… Je serai toutes les femmes ou aucune !
Ce double salvateur n'a évidemment pas pris la place de l'original. Je me suis probablement travestie pour me protéger du regard vampirique que l'autre a sur moi. D'une problématique individuelle, j'avais trouvé un moyen d'injecter une réponse incluant le collectif, où ici le double ne sera pas un original.
Texte SAMIA FARAH COPYRIGHT RESERVED.
Pictures ANJA AICHINGER AND ISABEL BEIRER







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Samia Farah